Enjeux de durabilité et défis de lapêche artisanale dans les régionsultrapériphériques d’Outre-Mer

Enjeux de durabilité et défis de lapêche artisanale dans les régionsultrapériphériques d’Outre-Mer


Dans les régions ultrapériphériques d’Outre-mer, la pêche
artisanale est essentielle sur les plans économique, social
et culturel. Elle y fait face à des défis majeurs, notamment
en matière de suivi des ressources halieutiques et de
gestion durable des pêcheries. Ces régions connaissent
des contextes et enjeux particuliers autour de la
concurrence avec les flottilles étrangères et de la pêche
illégale. Les connaissances et les données scientifiques y
sont plus lacunaires que pour les pêcheries hexagonales,
ce qui a limité l’obtention de subventions pour la
modernisation des flottilles de pêche. Pour y remédier,
l’Ifremer a lancé un groupe de travail pluridisciplinaire
visant à analyser les socio-écosystèmes halieutiques de
ces territoires. Ce rapport a été présenté le 14 mai dans le
cadre de la Nuit des Idées à Rome : il offre une vision
exhaustive et inédite de la situation actuelle et des
perspectives d’avenir pour le secteur. Décryptage des 800
pages du premier rapport de ce groupe de travail.
Navires de pêche en Martinique – Crédits : Ifremer
Communiqué de presse 15 mai 2025 2 / 6
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GARANTIR UN AVENIR POUR LA PÊCHE
ULTRAMARINE
Dans de nombreuses régions tropicales à travers le monde, la petite pêche joue
un rôle économique, social et culturel majeur. Cependant, sa nature artisanale,
associée à la grande biodiversité des ressources exploitées et à des données et
connaissances souvent lacunaires, rend sa gouvernance complexe. Les régions
et départements français d’outre-mer de la Guadeloupe, la Martinique, la
Guyane, La Réunion et Mayotte, représentent toutefois une situation
particulière dans ce paysage, du fait qu’ils sont soumis au cadre européen de
gestion et de suivi scientifique de la Politique Commune de la Pêche (PCP). Ce
cadre définit des objectifs, des contraintes, des obligations et des moyens
communs à tous les Etats membres de l’Union Européenne ; il inclut également
des aménagements spécifiques aux régions dites ultrapériphériques (RUP).
Contrairement aux autres pêcheries de l’Union Européenne, les flottilles des
RUP sont, depuis peu, éligibles à des aides publiques pour leur
renouvellement, sous réserve de validation par la Commission
Européenne et à condition de garantir que les populations de poissons
exploitées ne soient pas en situation de surpêche. Cela signifie que la
pression de pêche ne doit pas dépasser une limite compatible avec
l’objectif de rendement maximum durable défini par la PCP, à savoir la
quantité maximale d’une espèce pouvant être prélevée en moyenne et à long
terme sans compromettre le processus de reproduction, toute chose restant
égale dans l’écosystème. Cependant, l’insuffisance des données disponibles
rendait jusqu’ici impossible la formulation d’un diagnostic scientifique
robuste. Pour répondre à ce besoin urgent, l’Ifremer s’est mobilisé depuis 2020
pour créer d’abord un réseau interne inter-Outre-mer, composé d’écologues,
de biologistes, d’économistes et de sociologues, puis, depuis 2022, un groupe
de travail étendu à des partenaires extérieurs (Université de Guyane, Office
français de la biodiversité à Mayotte, Université de Bretagne Occidentale) et
financé par la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de
l’aquaculture (DGAMPA), dans le cadre de l’appui aux politiques publiques. Ce
groupe appelé GTOM (Groupe de Travail Outre-Mer) a publié son premier
rapport de synthèse fin 2024 : celui-ci présente une analyse très détaillée des
socio-écosystèmes halieutiques des différentes RUP, au travers d’une approche
unifiée.
En neuf chapitres thématiques, le rapport intègre des informations sur les
contextes géographiques et socio-économiques, les écosystèmes et pêcheries,
la capacité des flottes de pêche et leur production, l’environnement social et
socio-démographique des marins, l’évaluation des populations de poissons
exploitées, les impacts de la pêche et d’autres facteurs sur les écosystèmes
(réchauffement climatique, espèces invasives…), les interactions avec d’autres
usages, les filières pêche et produits de la mer, ainsi que des simulations bio-
socio-économiques pour imaginer l’avenir du secteur. Ce rapport sera désormais
mis à jour annuellement et est également alimenté par des groupes réguliers
de discussion avec les acteurs dans chaque RUP.
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« Ce rapport inédit propose des évaluations multicritères cruciales pour la
durabilité des ressources halieutiques et pour informer les processus
politiques liés à l’obtention des aides très attendues par les pêcheries locales.
Il met en évidence l’importance d’une approche intégrée pour gérer les socio-
écosystèmes des RUP et d’une gouvernance simplifiée et adaptée aux enjeux
locaux. », souligne Clara Ulrich, coordinatrice des expertises halieutiques à
l’Ifremer.
VERS UNE FLOTTE PLUS ATTRACTIVE POUR
LES FUTURS PÊCHEURS ET UNE MEILLEURE
RÉGULATION DE LA PÊCHE ILLÉGALE
Concernant la flotte de pêche en Outre-mer, 98 % des 1 411 navires actifs en
2022 sont des embarcations de petite pêche de moins de 12 mètres, avec
une moyenne d’âge des navires de 22 ans. Néanmoins, cohabite une grande
diversité d’engins utilisés, les chaluts étant interdits dans les RUP, sauf en
Guyane. Une baisse du nombre de navires et de marins est observée
depuis 25 ans, qui se traduit par des baisses d’activité de pêche et de
production dans certaines régions. Avec une production annuelle de 10 000
tonnes et une valeur ajoutée brute de 42 millions d’euros, la production locale ne
couvre pas la demande alimentaire forte (en moyenne 33 kg consommés par an
et par habitant) et les régions ultrapériphériques (RUP) restent fortement
dépendantes des importations de produits de la mer. A l’exception de la Guyane,
les prix des débarquements sont plus élevés que dans l’Hexagone mais avec un
handicap de surcoûts de production liés à l’éloignement et l’insularité des RUP.
Le rapport démontre que la gouvernance des pêcheries dans les RUP est
complexe avec le croisement de régulations internationales, nationales et
régionales. La pêche artisanale y est en concurrence avec les flottilles
étrangères sur des stocks partagés de grands poissons pélagiques (thons,
espadon, etc.). La pêche récréative est peu réglementée, tandis que la
pêche informelle et illégale pose des défis supplémentaires notamment en
Guyane et à Mayotte. En Guyane, sur la période 2019-2023, la pêche illégale
représentait jusqu’à 3 fois l’effort de pêche local, une fois converti en kilomètres
de filets déployés, d’après le rapport « Estimation de la pêche illégale étrangère
en Guyane française »1.
L’analyse des données socio-démographiques permet de définir le profil type du
marin pêcheur professionnel dans les RUP. Il ressort que 98,8 % des 1 927
marins enregistrés sont des hommes, souvent soutenus par une forte implication
de leurs conjoints et familles dans la gestion des entreprises. Les équipages,
généralement composés de 1 à 4 marins, opèrent principalement à la
journée ou sur quelques jours sur des embarcations de petite taille. Âgés
en moyenne de 49 ans, contre 41 ans dans l’Hexagone, ces marins illustrent les
défis du renouvellement générationnel au sein de la profession. A ce sujet,
1 Ce rapport a été réalisé par l’Ifremer, le Comité Régional des Pêches Maritimes et des
Elevages Marins et le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) de Guyane, avec le financement de
la DGAMPA. Il est disponible sur la plateforme Archimer :
https://archimer.ifremer.fr/doc/00909/102042/
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le rapport montre l’attrait des marins les plus jeunes pour les pêcheries
performantes offrant ainsi des perspectives économiques et sociales
intéressantes pour renforcer l’attractivité du métier et l’amélioration des
conditions de travail. Ici, l’offre de formation semble être un levier pour
répondre aux demandes de professionnalisation et aux obligations
administratives et pour accéder aux aides publiques existantes.
Enfin, la modélisation de différents scénarios bio-socio-économiques a montré
dans quelle mesure la réduction de la pêche illégale et l’amélioration des
conditions économiques locales (prix au débarquement, subventions)
pourraient contribuer à améliorer les performances des flottilles.
« Même si la pêche est artisanale et les coûts d’exploitation plus élevés que
dans l’Hexagone, les subventions à la construction de navires ne sont pas
sans risque sur la durabilité du secteur. Les mesures de gestion des
ressources et la régulation de l’accès aux pêcheries doivent être améliorées
pour contribuer à des socio-écosystèmes en bon état. », Olivier Guyader,
économiste à l’Ifremer.
11 % D’ESPÈCES SURPÊCHÉES, AVEC UNE
TENSION SUR LES GRANDS PÉLAGIQUES
A l’exception de la Guyane, les zones de pêche accessibles à la pêche artisanale
sont des plateaux insulaires étroits et sensibles à la pression de la pêche. Ces
zones sont souvent des hotspots de biodiversité marine, avec un nombre
important d’espèces d’intérêt halieutique. En Outre-Mer, les débarquements
recensent plus de 300 espèces différentes, dont plus d’une centaine sont
suffisamment fréquentes pour faire l’objet d’échantillonnages biologiques aux
Antilles, et tout autant à la Réunion. En comparaison, si les pêcheries
hexagonales de l’Atlantique Nord-Est débarquent également plus de 250
espèces différentes, seulement une quarantaine d’entre elles représentent des
volumes importants. Malgré cette diversité, les débarquements se
Représentation schématique des écosystèmes et des pêcheries des RUP françaises (hors Guyane) selon
la bathymétrie et la distance à la côte
Ifremer/J. Barrault
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concentrent sur un nombre limité d’espèces, notamment les grands
pélagiques (thons, marlins et coryphènes) et les poissons démersaux et
benthiques (vivaneaux, perroquets, mérous, acoupas, …) qui qui représentent
respectivement environ 50 % et 30% des débarquements totaux pour
l’ensemble des RUP.
Contrairement aux populations de grands pélagiques suivies et gérées depuis
longtemps par des organisations internationales, l’état des populations des
espèces exploitées par la pêche côtière n’était pas connu avant le démarrage
du GTOM. Les chercheurs ont développé des évaluations reposant sur des outils
statistiques conçus pour exploiter au mieux des sources de données limitées et
utiliser des séries de débarquements par unité d’effort et des paramètres
biologiques, pour l’essentiel collectés grâce à un effort d’échantillonnage sans
précédent en 2021.
Ainsi, pour la première fois, le rapport présente des résultats d’évaluation validés
sur l’état des populations de 38 espèces et groupes d’espèces côtières
exploitées, révélant que 13 d’entre elles sont surpêchées avec une
biomasse dégradée et 8 sont dans un état intermédiaire. Sur les 9 211
tonnes capturées dans les RUP en 2022, 49 % proviennent de populations
exploitées au rendement maximal durable, 38 % ne sont pas évaluées, et 11 %
sont considérées comme surpêchées et dégradées. La situation varie selon les
territoires : en apparence, Mayotte et La Réunion ont une proportion plus élevée
de débarquements issus de populations de poissons surexploités mais ce
résultat doit être nuancé par le fait qu’il s’agit de stocks de grands pélagiques
dont l’exploitation est partagée, évaluée et gérée à l’échelle de l’Océan Indien.
La nature migratrice de ces poissons fait que l’on ne peut réaliser l’évaluation au
seul niveau de ces territoires. Pour les autres espèces des eaux réunionnaises
et mahoraises, qui sont évaluées à l’échelle locale, plus de la moitié d’entre elles
sont exploitées durablement ce qui constitue un état similaire aux autres
territoires.
Infographie représentant l’état des populations de poissons exploitées dans les 5 départements d’Outre-mer
en 2022 (part des débarquements en volume)
Ifremer/J. Barrault
Communiqué de presse 15 mai 2025 6 / 6
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« Les zones de pêche des RUP, riches en biodiversité, concentrent les
débarquements des petites pêches artisanales tropicales. Les premiers
diagnostics montrent une diversité de situations, comparable à ce qui est
observé dans les eaux européennes. Cette diversité est un défi et il faut
continuer à améliorer les connaissances et développer des outils d’évaluation
et de gestion adaptés. Poursuivre nos recherches est crucial pour la durabilité
de ces ressources », précise Lionel Pawlowski, chercheur en halieutique à
l’Ifremer.
DES ÉCOSYSTÈMES IMPACTÉS PAR LE
CHANGEMENT GLOBAL
Le rapport documente aussi les captures accidentelles de mammifères
marins et de tortues, ainsi que des actions mises en œuvre pour les réduire
(travaux du WWF en Guyane par exemple). Enfin, le rapport décrit différents
impacts croissants sur les écosystèmes, la biodiversité et les ressources liés
à d’autres facteurs tels que le changement climatique, la présence
d’espèces invasives (poissons lion dans les Caraïbes), l’apparition des
algues Sargasses ou la pollution (chlordécone aux Antilles). La dégradation
des milieux côtiers fragilise ainsi les socio-écosystèmes des régions outre-
mer et la résilience des pêcheries.
Guyader Olivier, Pawlowski Lionel, Ulrich Clara, Blanchard Fabian,
Baudrier Jerome, Bonhommeau Sylvain, Cisse Abdoul, Duband Maëlle,
Frangoudes Katia, Garcia Jessica, Jac Cyrielle, Leblond Emilie, Le Grand
Christelle, Mahe Kelig, Merzereaud Mathieu, Nithard Amélie, Pelletier
Dominique, Tagliarolo Morgana, Tessier Emmanuel, Thomas Clarisse
(2024). Socio-écosystèmes halieutiques des régions ultrapériphériques
françaises. Rapport du Groupe de Travail Outre-Mer (GTOM) 2024. Ref.
RBE/2024-019. Ifremer. https://doi.org/10.13155/101830

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